Chapitre 2
LE LENDEMAIN DE L’ACCIDENT
Le retour des deux hommes en uniforme au village de Pralognan-la-Vanoise fut extrêmement silencieux. Chacun dans son esprit revivait les événements dramatiques de l’après-midi. Ils furent seulement ralentis un petit moment par la navette électrique qui embarquait les vélos des cyclistes ainsi que les promeneurs pour les ramener au village.
Avant leur départ Jacques avait remis à Marcel Rion la feuille du carnet sur laquelle il avait noté l’identité du pêcheur, son adresse sur son lieu de vacances ainsi que ses coordonnées téléphoniques. Il avait joint à cela la carte d’identité de la victime qui avait été glissée dans un sachet en plastique.
Marcel Rion évita le centre du village et fit prendre à sa voiture la route du Plan afin de déposer Jacques Gerino près de son domicile non loin de la Chèvrerie du Plan.
A peine remarqua-t-il la douzaine de touristes, accompagnés de leurs bambins, qui attendaient patiemment l’ouverture de l’étable afin assister à la traite des chèvres tout en dégustant leurs délicieux fromages.
L’officier municipal arrêta sa voiture tout près du domicile de Jacques Gerino.
Les deux hommes échangèrent quelques mots et se promirent bien entendu de rester en contact.
Marcel Rion remonta dans son véhicule, mais, juste avant de démarrer il se pencha à la fenêtre pour dire à Jacques Gerino :
- « Je vais contacter notre témoin dès demain matin afin de prendre sa déposition. C’est vrai qu’il n’a pas été très loquace aujourd’hui. Sous le coup de l’émotion sans doute. »
Sur ces dernières paroles il embraya et se dirigea vers les locaux de la police municipale. Les forains nombreux, tôt le matin, sur le marché avaient plié leurs étals. Quelques personnes devisaient aux terrasses des bars, d’autres flânaient en regardant les vitrines des boutiques. Un petit groupe de touristes s’attardaient sur le parvis de l’office du tourisme. Ils parcouraient des yeux les informations contenues dans le Petit Journal hebdomadaire édité par la station.
Marcel Rion arrêta son véhicule devant le poste de police et monta jusqu’à son bureau.
Il se rafraîchit rapidement avant de se servir un café. La cafetière était restée branchée, ça tombait bien, il avait grand besoin d’un bon remontant. Un porte manteau lui tendait ses bras, il y accrocha sa veste et s’installa derrière son bureau. Marcel Rion examina de près les documents que lui avait remis Jacques Gerino, le garde forestier.
Son regard se posa, en premier lieu, sur l’identité du témoin :
Il s’agissait d’un certain Olivier Bertaud. Son numéro de portable, ainsi que son lieu de résidence à Pralognan étaient également notés sous ses civilités.
Ensuite, avec émotion, Marcel Rion, saisit entre ses doigts, un peu fébriles, le sachet en plastique contenant la carte d’identité de la victime :
- «Romaric Leguirec, 33 ans, domicilié à Saint Georges de Didonne.»
Instinctivement Marcel Rion jeta un coup d’œil à sa montre. Elle marquait seize heures quarante sept.
Il saisit alors le combiné de son téléphone et composa le numéro d’Olivier Bertaud.Trois sonneries plus tard un « allo » retentit dans l’écouteur :
- « Bonjour, je souhaiterai parler à Monsieur Olivier Bertaud, s’il vous plaît. Je me présente : Marcel Rion, officier Municipal en poste à Pralognan-la-Vanoise. »
- « C’est moi-même, Je suis Olivier Bertaud », s’entendit-il répondre au téléphone, la voix était claire et assurée.
- « Monsieur, seriez-vous disponible pour passer demain matin, à neuf heures, au poste de Police de Pralognan ? Je souhaite prendre votre déposition, suite à l’accident dramatique qui s’est produit aujourd’hui au Pont de la Pêche et dont vous avez été témoin. »
Olivier Bertaud répondit par l’affirmative :
- « Demain matin à neuf heures ? Oui, d’accord je serai présent dans vos locaux.
Après un échange rapide de formules de politesse, Marcel Rion raccrocha le combiné. L’horloge de l’église Saint Jean Baptiste égraina cinq coups. La journée avait été bien dense et très riche en émotions. Marcel Rion se leva, mit en sécurité les documents dans un coffre, verrouilla la porte du bureau de police et rentra chez lui. Le lendemain matin à huit heures l’officier municipal était de retour à son bureau.
Il avait préparé l’audition du témoin. Celui-ci franchit la porte du poste au moins vingt minutes avant l’heure dite.
Après un échange de poignée de main viril, les deux hommes s’assirent l’un en face de l’autre. Olivier Bertaud avait bonne allure. La soixante dizaine révolue, grand, mince, il portait bien son âge. Ses yeux très clairs, derrière des montures de verre assez discrètes, éclairaient son visage encadré par des cheveux blanc. Un polo de marque, ajusté près du corps, soulignait des bras aux courbes assez musclées. Un sourire légèrement crispé se dessina sur ses lèvres lorsqu’il s’assit. Marcel Rion commença l’audition du témoin.
- « Pouvez-vous me relater le déroulement de votre matinée de pêche au bord du torrent. Et en particulier les instants passés à proximité du lieu-dit : «Le Pont de La Pêche», où vous vous trouviez, au moment de l’accident ? »
- « J’étais en place pour pêcher, près Pont de la Pêche, aux alentours de dix heures quinze. Je me souviens assez précisément de l’heure, car juste avant que je lance ma ligne à l’eau j’ai consulté ma montre. J’avais prévu de rester une bonne heure ici. Puis je pensais longer la rive du torrent en direction de la Passerelle des Anciens. Il me fallait de temps en temps regarder l’heure. Nous avions prévu de partir en randonnée jusqu’au refuge du Roc de la Pêche avec mon épouse. Nous devions nous retrouver aux alentours de treize heures près de ma voiture stationnée au Parking des Prioux, à proximité des deux restaurants. Malheureusement… »
Marcel Rion l’interrompit brusquement :
- « Monsieur Bertaud, avez-vous rencontré d’autres pêcheurs pendant le moment où vous étiez en train de pêcher aux abords du Pont de la Pêche, ou des promeneurs avec qui vous auriez échangé quelques mots ? »
- Le pêcheur répondit spontanément par la négative. Il reprit :
- « C’est vrai que la pêche à la truite exige beaucoup de concentration. Mes yeux suivaient la ligne en permanence. Il faut relancer souvent. J’étais très absorbé. Sur le parcours, je n’ai pas croisé où rencontré d’autres pêcheurs. Par contre, il est tout à fait possible que des randonneurs m’aient aperçu depuis le chemin…Mais, je suis incapable de vous le confirmer. Je n’ai pas quitté des yeux ma ligne et les eaux du torrent. D’ailleurs, une truite Fario est venue se prendre à mon appât. J’ai dû fournir beaucoup d’effort pour la sortir de l’eau… »
L’officier municipal prenait des notes. Il releva la tête un moment de sa feuille pour poser une nouvelle question au témoin :
- « Vous étiez donc complètement absorbé par votre activité. Vous me dites n’avoir croisé personne sur votre parcours. Et vous ne savez pas me dire si quelqu’un vous a aperçu, la canne à pêche à la main, en train de pêcher dans le torrent à proximité du Pont de La Pêche ? …»
Olivier Bertaud opina du chef, pour approuver le commentaire de Marcel Rion. Ce dernier reprit son interrogatoire :
- « A un moment, vous avez tout de même levé la tête et jeté un regard en direction du Pont de la Pêche. Vous avez dit, au garde forestier, Jacques Gerino , avoir vu la victime avant qu’elle ne tombe par-dessus la rambarde. Quelque chose de particulier a donc interrompu votre concentration sur votre pêche : un bruit, des voix ? »
Les yeux clairs d’Olivier Bertaud fixèrent immédiatement le regard de l’officier municipal il expliqua :
- « En fait, je n’ai pas entendu de bruit particulier, ni de voix. J’ai été ébloui par un rayon de lumière, un reflet comme celui du soleil qui se réverbère à travers la glace d’un miroir…J’ai donc levé la tête et j’ai vu que l’éclat lumineux provenait du pont. Et je pourrai presque affirmer qu’il s’échappait des mains de la personne qui est tombée du pont. Comme si elle tenait quelque chose de brillant près de son oreille, de son visage. Une fraction de seconde après, j’ai vu l’homme passer par-dessus la rambarde et tomber sur les rochers du torrent. Je suis resté pétrifié. A ce moment-là, il n’y avait personne autour de moi.
- Un court instant Marcel Rion fit le rapprochement avec le téléphone portable de la victime Romaric Leguirec. Mais il ne souffla mot…
- Olivier Bertaud ajusta la monture de ses lunettes sur ses yeux et reprit d’une voix assurée :
- « J’ai sorti mon téléphone de son étui assez vite et j’ai composé le numéro des secours. L’hélicoptère est arrivé avec les personnes de la sécurité civile, ainsi que le garde forestier, et vous même, si je me souviens bien, peu de temps après…
Marcel Rion inscrivit les derniers propos du témoin sur son rapport, sans faire de commentaires particuliers. Il tendit le document à Olivier Bertaud qui le signa sans s’y attarder. Ensuite les deux hommes se levèrent et se dirigèrent ensemble vers la sortie du poste de Police. Marcel Rion s’adressa une dernière fois au témoin :
- « Je vous remercie de vous être présenté si rapidement pour faire votre déposition. Si toutefois un élément, un détail quelconque vous revenait en mémoire, même si cela vous paraît anodin, vous pouvez me contacter au téléphone ou revenir me voir. »
- Olivier Bertaud lui fit un signe de tête pour acquiescer. Ensuite, il salua l’officier municipal et s’éloigna en direction de la maison de la presse. Marcel Rion le suivit un moment des yeux. Puis il tourna les talons, pénétra à l’intérieur du poste et ferma la porte derrière lui….
Gismonde des Talents de Pralognan