Chapitre 7
RENCONTRE AU VILLAGE
PEPE GOUTTE
A Pralognan-La-Vanoise, il est un personnage, haut en couleur, connu et apprécié par tous les habitants. On pourrait même dire que c’est une figure emblématique du village. Presque aussi célèbre que la statue en bronze du fameux bouquetin, emblème du Parc National de la Vanoise, qui, érigé sur son rocher, domine fièrement le village.
Ce personnage charismatique, aimé et respecté se nomme : Pépé Goutte.
Bien sûr vous vous doutez bien qu’il s’agit là d’un surnom. Originaire de Pralognan, c’est un véritable enfant du pays.
Si ce sobriquet de Pépé Goutte lui a été donné, c’est surtout en raison de son petit penchant pour le Génépi. Bien souvent, afin d’être agréable avec ses hôtes, il acceptait, avec un plaisir non dissimulé, un peu de la délicieuse liqueur, en répondant :
« Oui, merci, avec plaisir, mais alors juste une toute petite goutte… »
Pépé Goutte venait de souffler ses soixante-dix bougies. Grand, mince, le visage bruni par le soleil de la haute montagne, il arborait une belle et épaisse moustache, un peu arrogante, à la Clémenceau. Elle lui allait bien. Il en était fier et la caressait parfois, du bout de ses doigts, avec une certaine tendresse. Ses grands yeux noirs, baignés de malice, donnaient à son regard un pouvoir envoutant lorsqu’il les posaient sur ses interlocuteurs. Il ne sortait jamais sans son couvre-chef préféré : un splendide béret Savoyard, presque aussi noir que son visage buriné. La pipe au bord des lèvres, allumée ou pas, il arpentait le village d’un pas alerte, souple et léger, gagné grâce à la force « des jambes ». Pépé Goutte était guide de haute montagne. Il avait multiplié les courses pour atteindre les plus hauts sommets et était respecté pour ses connaissances du milieu montagnard ainsi que pour ses qualités techniques et professionnelles.
Le temps passant, les années s’installant dans son corps, petit à petit, il avait diminué, progressivement ses grandes et longues randonnées pour savourer le temps de la retraite.
Il continuait cependant, pour son propre plaisir, à s’élancer dans de magnifiques randonnées. Il aimait tellement ressentir cette sensation à la fois magique et émouvante, qui lui serrait le cœur, chaque fois qu’il glissait ses vieux crampons sur les traces des pas qu’il imaginait, sans doute, avoir laissées lors de ses précédents passages.
Ces moments-là, étaient particulièrement intenses en émotion, propices aux souvenirs qu’il laissait revenir en sa mémoire. Un jour de juillet il était parti randonner jusqu’au Lac des Vaches. Il aimait beaucoup cet endroit. Il ne se lassait pas de l’admirer. Ce lac est tellement somptueux. C’est une richesse incontestable du massif et du parc National de la Vanoise. C’est un lieu magnifique qui ne change pas, malgré les années qui passent. Sa beauté semble immuable, éternelle, ancrée pour l’éternité.
Pépé Goutte se promenait dans sa mémoire…
Il se souvenait et revivait l’instant où il avait ressenti la fatigue pour la première fois. Elle lui avait progressivement envahi les jambes, au cours de la descente au village, en revenant du Lac des Vaches. Il avait fait une petite pause et s’était assis sur les pierres du chemin pavé qui conduit aux Barmettes.
Pépé Goutte était un contemplatif. Il l’est toujours d’ailleurs..
Lors de ces balades en solitaire, des images et des souvenirs lui revenaient en mémoire, pour son plus grand plaisir.
Il ne comptait plus les nombreux randonneurs, ou alpinistes, expérimentés, ou pas, qu’il avait conduits à l’ascension des nombreux sommets dominant le village. Ces magnifiques sommets, plus techniques les uns que les autres, contribuant, sans contestation aucune, à la richesse exceptionnelle du patrimoine de Pralognan- la -Vanoise.
Pépé Goutte aimait se dire, et dire aussi au plus grand nombre de touristes que : « Les plus beaux sommets des Alpes sont réunis à Pralognan » Et là, de les citer tous avec une immense fierté, à peine contenue : La Grande Glière, le Grand Bec et la merveilleuse et sublime Grande Casse.
Tout en savourant les souvenirs de ses exploits passés, il ne cessait d’admirer les courbes majestueuses de la Grande Casse Il en avait fait plusieurs fois l’ascension. Une épreuve grandiose, son sommet culminant à 3855 mètres.
S’il s’était avéré un guide de haute montagne expérimenté, exceptionnel et passionné, notre attachant personnage, avait aussi bien d’autres qualités.
Il adorait raconter des histoires. Il n’avait pas son pareil pour tenir en haleine un public qui se laissait prendre au piège des histoires qu’il racontait avec fougue et passion.
Au repas des anciens du village, il était devenu, au fil des années un conteur émérite. Il déclamait ses histoires devant un parterre de spectateurs médusés qui l’écoutaient dans un silence presque religieux.
L’histoire la plus attendue était très certainement celle de la légende du DAHU.
Bien souvent il se plaisait à la raconter aussi aux nombreux touristes qui s’agglutinaient sur la place du village. Assis sur un banc, il les apostrophait de loin. Ces derniers, curieux d’entendre ce que ce personnage insolite avait à leur dire, s’approchaient de lui.
« Si vous venez à Pralognan, dans nos belles et hautes montagnes, leur disait-il le plus sérieusement du monde en tirant une bouffée sur sa pipe, il vous faut connaître absolument l’histoire du DAHU. Vous risquez probablement de le rencontrer lors de vos randonnées. Oui, il existe bien le DAHU vous savez, et croyez-moi, je l’ai encore vu il y a quelques jours. Un jour comme aujourd’hui… »
« Ah le DAHU, reprenait-il en tout en lissant sa moustache. C’est vraiment un très bel animal. Bon on pourrait d’ailleurs le confondre avec un bouquetin. Mais vous pourrez le reconnaître grâce à son aspect caractéristique. Deux de ses pattes latérales sont plus courtes que les deux autres. On raconte qu’il reste toujours accroché aux parois des montagnes. Toutes les nuits, tous les jours. C’est d’ailleurs pour cela que ses pattes n’ont pas la même longueur… »
Certains touristes se sont laissés prendre au récit de Pépé Goutte. Il savait semer le doute dans les esprits. Utiliser les bons mots. User des bonnes intonations pour convaincre les publics les plus crédules de l’authenticité de son histoire…
Il avait même réussi l’exploit, cet été-là, de convaincre trois jeunes adolescents. Ceux-ci vaillamment et contre toute attente étaient partis à la recherche de son DAHU imaginaire.
L’animal était resté invisible. Les malheureux ne l’avaient pas trouvé bien sûr …
Pépé Goutte en rit encore aujourd’hui !
Gismonde des Talents de Pralognan